COMPOSITION 1933
La mythique console de Cavaillé-Coll a connu une histoire fort mouvementée
depuis son départ de la Basilique Ste Clotilde.
Construite dans les ateliers de Cavaillé-Coll, avenue du Maine, la console se
trouvait face à la nef, située sous l'encorbellement du buffet. Le tirage des
jeux par tirants est disposé en 4 gradins de part et d'autre des claviers. Les
tirants sont de section ronde, à pommeaux munis de porcelaines avec
écritures noirs pour les jeux de fonds et rouges pour les jeux de
combinaisons. L’écriture est caractéristique des débuts de Cavaillé-Coll.
Ordre des cuillers : Tirasses GO-POS-REC, Anches Pédale, Octaves Graves GO-
POS- REC-PED, Accouplements PED/GO – REC/PED, Trémolo, expression du
récit par cuillère.
Les claviers en chêne, plaqués d’ivoire et de palissandres possèdent des
frontons de touches biseautés pour les claviers du Récit et Positif et des
frontons droits pour le clavier de Grand-Orgue. Le meuble de console est en
chêne et le pupitre était rétractable.
Au début du XXème siècle, Charles Tournemire entreprit quelques travaux sur
la console dans le but de moderniser cette dernière.
La commande de l’expression du Récit (jusque là commandée au moyen
d’une cuillère à crans) fut remplacée par une pédale d’expression, placée à
l’extrémité droite de la console. Les commandes d’accessoires (Tirasses,
accouplements) effectuées au moyen de cuillères furent réorganisées. Enfin,
Tournemire compléta ces travaux par l’installation d’un éclairage du pédalier
ainsi que de la tribune (portrait de César Franck et tableau avec le St Suaire).
Lors des travaux réalisés entre 1930 et 1933, la console de Cavaillé-Coll céda la
place à une nouvelle console plus grande et plus ergonomique. Conscient de
l’intérêt patrimonial et historique de la console de 1859, Tournemire racheta I
‘ancienne console au chanoine Verdrie alors curé de Sainte-Clotilde. Il légua
par testament, à Flor Peeters parce que de tous ses amis, il a été le plus fidèle.
Lors de son décès en en 1986, celui-ci, à son tour, la légua au Conservatoire
Royal d'Anvers- Conservatoire qui en fit don au Vleeshuismuseum, où elle se
trouve actuellement.
A l'occasion du bicentenaire de la naissance de Cavaillé-Coll en 2011,
l’organiste Annelies Focquaert a effectué un important travail de recherches
dans le but d’approfondir l’histoire mouvementée de cette mythique console.
C'est alors que beaucoup de sources, jusqu'alors inconnues ont refait surface.
Même si l'on ne dispose pas de certitudes sur le véritable propriétaire de la
console en 1933, on peut néanmoins affirmer qu'elle fut sauvegardée par le
curé de Sainte-Clotilde et par Tournemire. Les travaux ayant été financés
essentiellement par les paroissiens, il est fort probable que Beuchet l’a remis
alors à la paroisse. Étonnamment, le testament de Tournemire ne livre aucun
détail sur la console, mais c’est grâce à la découverte de correspondances,
que nous pouvons élaborer des suppositions. L'une d'entre elles, écrite par
Flor Peeters à la veuve Alice Tournemire, met en avant la volonté de Charles
Tournemire de léguer la console à la ville de Liège, après le décès respectif
d'Alice et de Flor Peeters. Une autre lettre montre qu'Alice Tournemire, contre
les dernières volontés de son défunt mari, légua de son vivant la console à
Flor Peeters ne désirant pas 'attendre sa propre mort'. La console prit alors
place chez Peeters à Malines à partir de 1946 ou de 1947.
A son tour, Flor Peeters légua la console au Conservatoire d'Anvers et après
son décès en 1986. Elle prit alors place dans le bureau du directeur du
conservatoire, qui la donna à titre de prêt au Vleeshuismuseum en 1991, où
elle se trouve actuellement.
Résumé rédigé à partir d’un article d’Annelies Focquaert L'Histoire de la
console de César Franck (en Hollandais) Orgelkunst 34, 2, 82-96 (2011)
Photos de la console : Victor Weller
LES ENREGISTREMENTS DE 1930-1932
Tournemire connu les débuts de l'enregistrement
phonographique. En 1930 et 1931, juste avant les
travaux réalisés par Beuchet, Tournemire effectua
une série d’enregistrements pour la firme
Polydor. Ses enregistrements sont contenus dans
une série de 9 disques de 78 tours, 25 cm ou 30
cm. Le programme enregistré est composé
d’œuvres de César Franck ainsi que deux
mouvements de son Orgue mystique et des
improvisations interprétées sur le Grand Orgue
de la Basilique.
En mai 1931, grâce à ces enregistrements, il reçoit
le Grand Prix du Disque pour le 3ème Choral de
Franck (2 disques Polydor 566057 et 58).
Ses 5 improvisations (sur le Te Deum, Petite
Rapsodie, Cantilène, Choral sur Victimae Paschali,
Fantaisie sur Ave Maris Stella, disques 561048,
561050, 566058, 566060, 566061) seront
ultérieurement reconstituées par Maurice Duruflé
d'après les enregistrements, et éditées en 1958
(Durand).
•
Deux extraits de l'Organiste de César Franck :
"Chant de la Creuse" et "Noël angevin"
•
César Franck: Pastorale
•
César Franck: Cantabile
•
César Franck: Choral III
•
Improvisation Fantaisie
•
Improvisation sur Victimae
•
Paraphrase-Carillon (L'Orgue Mystique 35 - V)
•
Andantino (L'orgue Mystique XIIè Dimanche
après Pentecôte)
•
Improvisation sur le Te Deum
L’ORGUE DE CESAR FRANCK 2/2
LES TÉMOIGNAGES DE L’ORGUE
ENTRE 1859 ET 1932
Dès son inauguration en 1859, l’orgue de Ste
Clotilde a été considéré comme l’un des chefs
d’œuvres majeurs de l’œuvre d’Aristide Cavaillé-
Coll. Du fait de l’importance de la vie musicale à la
Basilique, il attira vite de grands organistes de
renoms. Quelques uns, ont couché sur papier
leurs impressions et leur émerveillement quant à
cet orgue.
•
Martineau, Minard & Bourgault-Ducoudray
•
Louis Vierne
•
Maurice Duruflé
•
André Marchal
•
Norbert Dufourq
•
André Fleury
•
Vincent d’Indy
Extrait d'un journal du voyage effectué à Paris en 1866, par MMrs Martineau
(maître de chapelle de la cathédrale), Minard (organiste du grand orgue de la
cathédrale de Nantes) et Bourgault-Ducoudray (Grand Prix de Rome). Ces
derniers ont fait ce voyage dans le but d’y entendre et d’y examiner les principaux
orgues d’église et d’y visiter les ateliers des plus habiles facteurs dans le but de
rédiger un rapport détaillé d'une commission chargée de proposer un plan de
reconstruction de l’orgue de la cathédrale de Nantes.
Source: Etienne Delahaye, L’Orgue N° 300 – 2012, pages 77 à 97, que dirige M.
François Sabatier, grâce à l’obligeance de l’abbé Félix Moreau.
L’orgue que nous allons examiner a à peu près la même importance que celui de
St Vincent de Paul ; mais nous nous apercevons, de suite, que l’église de Ste
Clotilde présente des conditions d’acoustique beaucoup plus favorables. Mr
Franck nous fait entendre d’abord les jeux de fond, sans les jeux de 4 pieds. Il a
l’habitude de combiner ces jeux avec le hautbois du récit pour leur donner plus
de mordant. Il en résulte une sonorité pleine de charme. La personnalité du
hautbois disparaît dans l’ensemble des jeux de fonds ; mais il agit d’une manière
latente. La sonorité des fonds de cet instrument est belle, grave, très homogène.
Elle gagne en force, lorsqu’on joint les jeux de 4 pieds aux autres jeux de fond.
Alors les dessus se détachent davantage , mais sans excéder une juste mesure, et
de manière à ce que la sonorité qui en résulte soit parfaitement équilibrée. Après
les jeux de fond, Mr Franck nous fait entendre les jeux d’anches. Même entendus
seuls, ces jeux sont exempts de dureté. Ils ont du brillant, mais de la plénitude et
de la rondeur.. Enfin le grand-chœur, c’est à dire la réunion des jeux d’anches aux
jeux de fond donne lieu à un effet puissant et harmonieux, qui est dans une
proportion excellente avec la grandeur de l’église.
Après ces préliminaires destinés à nous faire connaître les divers effets
d’ensemble de l’instrument, Mr Franck nous fait apprécier avec une habileté rare,
les ressources nombreuses que présente cet orgue pour la variété des effets et la
combinaison des timbres. Bien qu’en général les compositions de cet organiste
soient plutôt faites pour le concert que pour l’Eglise, elles ne sont pas moins très
remarquables, et admirablement faites pour faire valoir l’orgue de Ste Clotilde.'
En somme, cet instrument touché par un organiste habile, qui le possède à fond
et peut en faire ressortir toutes les qualités, qui, de plus, ne se fie pas à
l’inspiration du moment, laquelle fournit des idées plus ou moins heureuses aux
organistes-improvisateurs, mais joue des morceaux écrits, longuement médités,
et remplis de mérite sous le double rapport des idées et des développements, cet
orgue, dis-je, nous a causé une satisfaction pleine et entière.
Dans les effets d’ensemble, comme dans les jeux de détail, la sonorité est toujours
claire, égale nette et harmonieuse. Elle se fait remarquer par un équilibre parfait
dans la composition des timbres, et par je ne sais quoi de vif, de chaud, de coloré.
Parmi les jeux solos qui nous ont semblé les plus remarquables, nous citerons la
clarinette-cromorne qui a quelque chose de plus timbré que la clarinette, mais
n’en a pas moins un grand charme et beaucoup de rondeur. La voix céleste, le
hautbois, se font remarquer aussi par leur bonne qualité de son. Ces jeux, bien
que placés dans la boite expressive, perdent moins de leur sonorité que les jeux
de récit de l’orgue de St Eustache. Mr Cavaillé ne nous montre pas le mécanisme
de cet orgue, se réservant de nous faire voir dans tous ses détails celui de St
Sulpice, qu’il considère comme la manifestation la plus complète et la plus
considérable de son talent de facteur.
En 1881, Louis Vierne (un garçon de 11 ans) s'est rendu pour
la première fois la messe à Sainte Clotilde et entendu Cesar
Franck jouer :
L'orgue joua une entrée mystérieuse et qui ne ressemblait
en rien à ce que j'avais entendu à Lille. Je fus bouleversé et
pris d'une sorte d'extase. Ce fut bien plus fort à l'Offertoire,
où le Maître put se livrer plus longtemps ; ce thème si
imprévu et si prenant, ces harmonies si riches, ces dessins si
subtils, cette vie intense de toutes les parties me
confondirent de stupeur. Je souffrais délicieusement et
aurais voulu que cette souffrance se prolongeât toujours.
Nous écoutâmes la sortie jusqu'à la dernière note : c'était
une longue paraphrase sur I'Ite missa est, pleine d'envolées
lyriques que ma jeune imagination traduisait en spectacles
paradisiaques avec des cortèges d'anges chantant
‘Hosanna’ ! En même temps certaines harmonies me
causaient une sorte de malaise nerveux qui était en même
temps une volupté ; je ne pouvais retenir mes larmes... Je ne
savais rien, je ne pouvais rien comprendre mais mon instinct
animal était violemment secoué par cette musique
expressive qui chantait par tous les pores. Alors se leva en
moi l’obscur pressentiment du but réel de la musique : je ne
pus l'exprimer en des termes précis, mais quand mon oncle
me demanda ce que j'avais ressenti, ce que cela m'avait fait :
< C'est beau parce que c'est beau, je ne sais pas pourquoi,
mais c'est si beau que je voudrais en faire autant et mourir
tout de suite après.
Reference: Louis Vierne, Journal (excerpts), Cahiers et Mémoires de
l’Orgue, No. 135bis (Paris: Les Amis de l'Orgue, 1970) 129
André Marchal, organiste à St Eustache de 1945 à 1963
(Source : Disque CD Erato Hommage à André Marchal 1958/1994)
L’orgue n’avait en 1912, date à laquelle Ch. Tournemire m’a invité à le
toucher pour la première fois, subi depuis la mort de C. Franck qu’un
relevage fait au début du siècle par Mutin, qui avait alors ajouté une
tirasse Récit n 'existant pas dans I 'orgue primitif. Ceci explique que
dans les passages écrits au Récit avec Pédale, Franck doublait cette
dernière avec la main gauche. Cet orgue a passé avec raison pour Ie
plus poétique des instruments de Cavaillé-Coll. Harmonisé par Gabriel
Rimburg. Ie plus artiste des harmonistes de Cavaillé-Coll, sa sonorité est
caractérisée par une grande poésie des jeux de fonds et l'extrême
Iégèreté de ses jeux d 'anches. Le Grand-Orgue a une composition
assez semblable à celle de beaucoup d'autres premiers claviers de cette
époque, si ce n'est l'absence d'un Cornet et la clarté que donne la
Mixture de VI rangs, plus lumineuse que la plupart des mixtures de
Cavaillé-Coll. Ses tuyaux sont disposés par ton en profondeur de
chaque côté du Positif qui est en façade. Ce Positif, presque aussi
important que Ie Grand Orgue, possède un jeu de Clarinette dont Ie
timbre et la puissance permettaient à Franck de raccompagner avec
tout son Récit (Fonds et Anches) fermé (Andante de la Grande Pièce
Symphonique).
La portée de ce clavier se trouve encore améliorée par sa situation en
façade. Répondant à ces deux claviers. un petit Récit de 10 jeux placé
derrière Ie Positif. La poésie de ce clavier était unique : Ie velouté des
jeux de fonds. Ie mystère des jeux de Voix Céleste et Voix Humaine, la
limpidité Iégère du Hautbois et la lumière exceptionnelle de la
Trompette et du Clairon, permettaient à ce clavier de s'équilibrer avec
les deux autres. La boite expressive, d'un effet exceptionnel, permettait
des pianissimi si ténus que dans Ie mélange de tous les fonds de
l’orgue et des anches Récit, ces dernières disparaissaient presque
complètement lorsque la boite était fermée. Cela explique pourquoi
Franck garde si souvent les anches du Récit dans ses registrations : il lui
suffisait de fermer la boite pour que l’ensemble des fonds domine. II
n'en est presque jamais ainsi dans les autres orgues, même ceux de
Cavaillé-Coll, et c'est pourquoi les registrations de Franck ne peuvent
presque jamais être appliquées à la lettre.
Norbert Dufourq , musicologue et
organiste de St Merry de 1923 à 1990
(Les Amis de l'orgue, 30-31, 1937, p. 112)
À l'orgue de Sainte Clotilde on pouvait,
sans crainte de se tromper, appliquer avant
guerre le terme de 'chef-d'oeuvre'. [...] On
s'étonnera qu'à l'exemple de l'orgue des
Couperin, l'orgue de Sainte Clotilde n'ait
pas été classé à son tour, comme devait
l'être le specimen le plus précieux de la
facture de Cavaillé-Coll. De ces beaux
fonds, de ce mystérieux récit enfoui à
l'intérieur de sa boîte, de cette clarinette
savoureuse, de ces anches incisives, de ce
grand choeur ardent et si personnel, nous
aimons souvent à nous souvenir.
The sound of the foundations with the 8-
4 reeds of the Récit was unique. No other
organ sounded like that. At Sainte-
Clotilde, you could draw anything and it
would always sound beautiful. That
sound of the 16-8-4 coupled with the 8-4
reeds in the distance was a kind of
gentle rustling, simply extraordinary. Just
a little touch. Then there was that swell
box, so sensitive. It was incredibly
effective. When it was shut, you could
barely hear a thing, and when it was
opened, it suddenly made its presence
known… Sainte Clotilde was the most -
‘interesting’ is too dull a word - the most
thrilling organ I have ever played.
Interview in La Flûte Harmonique nr 63-
64 (1992), pg 7
« C’est dans la pénombre de cette tribune, dont je ne puis me souvenir
moi-même sans émotion, que s’écoula la meilleure partie de sa vie,
c’est là que, pendant trente ans, chaque dimanche, chaque jour de fête
et les derniers temps, chaque vendredi matin, il vint attiser le feu de
son génie en d’admirables improvisations souvent bien plus hautes de
pensée que nombre de morceaux de musique ciselés avec adresse,
c’est là, assurément, qu’il prévit et enfanta les sublimes mélodies qui
devaient former la trame musicale de ses Béatitudes.
Oh ! nous le connaissions bien, nous ses élèves, le chemin qui
conduisait à cette bienheureuse tribune – chemin ardu et difficile
comme l’ Evangile nous présente le ciel – où, après avoir gravi la
ténébreuse spirale d’un long escalier à vis percé de rares meurtrières,
on se trouvait tout à coup face à face avec une sorte de monstre
d’aspect antédiluvien, à l’ossature compliquée, à la respiration pesante
et inégale, qu’à plus ample examen on reconnaissait être l’organe vital
de l’orgue actionné par deux vigoureux souffleurs.
Là, il fallait encore descendre un petit escalier de quelques marches,
bas, resserré et absolument privé de lumière, dernière épreuve fatale
aux chapeaux hauts de forme et cause de bien des faux pas pour les
non-initiés. Après quoi, ouvrant l’étroite janua caeli, on se trouvait
suspendu à mi-distance entre le pavé et la voûte de l’église et l’on
oubliait tout dans la contemplation du profil attentionné et surtout du
front puissant d’où sortait sans effort apparent toute une théorie de
mélodies inspirées et d’harmonies subtilement exquises qui,
s’enroulant quelques instants autour des piliers de la nef, allaient enfin
se perdre tout en haut, aux courbures des ogives. »
Vincent d’Indy
In « César Franck – Les Maitres de la Musique », 1921